Agir pour les animaux en Gironde

Textes de réflexion, coups de gueule, billets d'humeur

Sommaire

Les féministes et les droits des animaux, dossier paru dans le journal féministe allemand Emma, 2006. Présentation par Maryelle Budry

Article de Cavanna contre la fourrure, paru dans Charlie Hebdo, 2005

Qu'est-ce qu'un individu ?, Virginie Beaujouan, 1996 (paru dans "Léa", journal sur l'égalité animale, publié par le collectif antispéciste de Paris)

Décroissance et végétarisme, André Sulfide, article paru dans Le Monde libertaire n° 1374 (4-10 nov. 2004)

... tracts pour s'informer et à diffuser largement

 

 

Les féministes et les droits des animaux

la revue féministe allemande Emma, qui est l'une des plus importante en Europe (elle tire à plus de 75 000 exemplaireset est vendue dans toute l'Allemagne en kiosques depuis trente ans) vient de publier en février un nouveau dossier, plutôt volumineux (plus de 40 pages) sur le sujet "féminisme et droits des animaux", qui me semble positivement rentre-dedans...


Je vous livre ci-dessous, en français (la traduction est de moi, corrigée par Elke Albrecht), à la fois l'introduction du dossier, et les titres et sous-titres des différents articles qui le constituent... C'est instructif, à la fois sur le courage de cette revue (en Allemagne, les égalitaristes sont mal vus !), et sur l'avancement des débats outre-Rhin, quand on compare avec la Francophonie...

Maryelle Budry

 

 



Des droits pour les animaux
Il s'agit du troisième dossier que consacre EMMA aux droits des animaux. Quand en 1994, nous avons titré pour la première fois "Droit pour les animaux" (avec la photo d'un chat noir), des ricanements s'est fait entendre à travers la République : "Elles sont devenues complètement folles. Maintenant, elles veulent aussi s'engager pour des droits égaux pour les animaux." Les réactions les plus vives concernaient le parallèle que nous faisions entre l'oppression des femmes et celle des animaux. De nombreuses femmes et féministes refusaient de toutes leurs forces la comparaison : elles ne voulaient absolument pas être comparées à des animaux ! Depuis, beaucoup de choses se sont passées... Depuis ses débuts au milieu des années 70, le mouvement international pour les droits des animaux a connu de nombreux succès et le mouvement écologiquea élargi son audiencedans les années 80. L'Allemagne - elle est le premier pays au monde à l'avoir fait - a inscrit récemment la protection animale dans sa Constitution. Il est remarquable que l'écrasante majorité des activistes pour les droits des animaux sont des femmes. Et également que nombre des penseur-e-s du mouvement sont d'origine juive. Il y a des raisons à cela. Car, de même que les animaux, les femmes et les Juifs sont concernés au premier chef par le ravalement en tant qu' "autre". Dans ce troisième dossier, nous approfondissons les conséquences tragiques de cette séparation entre les "uns" et les "autres". Les "uns" se donnent toujours le droit de disposer des "autres" : les Blancs des Noirs, les hommes des femmes, les humains des animaux. Et nous abordons aussi dans ce dossier la question de ce que nous pouvons faire contre ce mépris des animaux et de leurs souffrances.



Voici les titres et sous-titres des divers articles du dossier :

NOUS NE SOMMES PAS LE COURONNEMENT DE LA CRÉATION
Cornelia Filter
Aux USA, les créationnistes veulent condamner l'enseignement de la théorie de l'évolution dans les manuels scolaires. Seulement doit avoir droit de cité l'histoire de la côte d'Adam - et de l'infériorité des animaux.

ILS SONT LES "AUTRES"
Birgit Mütherich
L'homme incarne la culture, la femme la nature ; l'homme incarne l'un, la femme l'autre. La même chose vaut pour les humains et pour les animaux.

MON STAGE DANS UN ABATTOIR
Christiane M. Haupt
C'est là qu'il faudrait envoyer toute personne qui mange de la viande. Chacun-e devrait voir cela, du début à la fin. L'auteure est allée jusqu'au bout et a vu le pire. Elle travaille aujourd'hui comme vétérinaire. Cet article a été publié en français par les Cahiers antispécistes, et également dans le livre Végétari'elles.


LES ANGES DES ANIMAUX EN ACTION
Petra Mies
Chaque année, 175 000 000 de convois sillonnent l'Europe avec à leur bord des milliards d'animaux. Les "Animal Angels" Lesley et Vincent tentent de leur épargner les pires souffrances.

LES ACTIVISTES DE LA LIBÉRATION ANIMALE ONT DU COURAGE
Les femmes et les hommes qui libèrent des chiens et chats des laboratoires ou des poules des élevages en batterie ont du cran. C'est ce que font les militant-e-s de PETA et des "bambis enragés".

LES DROITS DES ANIMAUX
D'un côté, la protection animale figure même dans la Constitution. De l'autre, il reste énormément à changer dans la législation. Que peuvent attendre les animaux du nouveau gouvernement ? Nos exigences !



 

TRENTE ANS DE LIBÉRATION ANIMALE
Peter Singer
Peter Singer est considéré comme le "père" du mouvement des droits des animaux. Son livre "Animal Liberation" a été le déclencheur du mouvement des droits des animaux. Pour le New York Times, il est le "philosophe vivant le plus important".

EST-CE QUE LA COMPARAISON VA TROP LOIN ?
Sina Walden
Non, répondent certains survivants ou persécutés juifs. Il y a matière à comparer le meurtre industriel d'animaux avec celui d'humains, donc aussi avec l'Holocauste.

 

 

 



LA TROP PETITE DIFFÉRENCE
Sina Walden
Ils sont tristes ou contents, ils sont gentils ou rusés, naïfs ou malins. Nous le savons tous et ne voulons pourtant pas l'admettre : les différences avec les humains sont ténues.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cavanna, article de Charlie Hebdo contre la fourrure

On croyait avoir gagné la bataille. Plus modestement, une bataille. Cette bataille-là. Celle de la fourrure. Ça remonte à loin. Des années. Personne n’osait plus en porter. Oh, pas par amour des bêtes au poil somptueux, même pas par pitié. Par trouille.

Il y avait eu l’époque des commandos. Qui traquaient la ******* en renard ou en vison. Les filles qui s’enfermaient dans l’ascenseur avec la poufiasse fière de son chinchilla (j’écris « chinchilla », je ne sais même pas si c’est une fourrure chère, enfin, mettons) et lui déversaient un demi-litre d’encre de Chine, ou de Javel, ou carrément d’acide sur l’ondulante toison, et puis s’esbignaient à l’étage, laissant hurler la rombière. Il y avait eu les manifs, les boutiques de fourreurs saccagées. Il y avait eu nous, Charlie Hebdo, Paule l’enragée en tête… Bref, la fourrure avait reculé. Disparu, pour ainsi dire. On était bien contents.

Ça ne pouvait pas durer. Les générations de connes succèdent aux générations de connes. Et tout est à recommencer. Les couturiers et tous ceux qui peuvent se faire du fric autour du martyre des bêtes ont fait ce qu’il fallait. La fourrure est tendance, la fourrure revient en force, c’est l’invasion massive, irrésistible.

Ce ne sont plus seulement les toisons prestigieuses, les traditionnels visons, les zibelines rarissimes, cadeaux de gros cons friqués à petites connes ambitieuses, qui font le gros du trafic, mais, figurez-vous, les peaux des chats et des chiens. Très mode, très très.

En zappant comme je zappe, je tombe l’autre jour –ne me demandez pas quelle chaîne, j’ai coupé le jus avant la fin et je me suis sauvé- sur l’horreur des horreurs. Un film pris en douce par un amateur, je suppose. Un élevage de chats. Plutôt, un endroit où l’on entreposait des chats volés. Des centaines. Ah, oui : en Chine. Des ouvriers chinois massacraient les chats. Rationnellement. Les attrapaient par les pattes de derrière, les élevaient haut en l’air et puis les abattaient, hargne donc, de toutes leurs forces sur une espèce de billot. De vrais pros. Le chat hurlait, se débattait, la sale bête, il fallait cogner encore, et encore, il n’en finissait pas de crever. D’ailleurs, on ne le contrariait pas. Tu ne veux pas clamser ? M’en fous, pourvu que tu te tiennes peinard. Et en effet, le chat, assommé mais vivant, gigotant vaguement, était sur-le-champ ouvert du haut en bas par le spécialiste, un autre, pas le même, débarrassé de sa peau en trois coups de couteau, la peau mise à sécher et le chat jeté tout palpitant dans une espèce de poubelle à roulettes où miaulait une masse sanguinolente et bien tassée de chats sans peau.

Finalement, ce n’était peut-être pas une prise de vues clandestines. Car on nous montrait complaisamment toutes les étapes du traitement des peaux jusqu’à leur finale expédition pour l’Europe. Le massacre n’était qu’une des étapes de l’opération, présentée avec la même indifférence, le même intérêt technique que les autres. Les Chinois ont beaucoup à apprendre quant à la sensiblerie occidentale. Ce film, qui se veut peut-être de propagande, leur fait du tort. Tant pis pour leurs gueules.
Je voudrais qu’il soit projeté dans tous les coins pourris où des bonnes femmes s’affublent de ces peaux volées. Qu’elles touchent du doigt ce que c’est que la prestigieuse industrie de la fourrure, ce qui se passe avant que le grand couturier la drape sur les corps de ses déesses.

Oui, je me bourre le mou. Elles le savent, tout ça, ou s’en doutent. Elles ne veulent pas le savoir. On leur racontera que ce que j’ai vu là est exceptionnel, des bandits, des clandestins, qu’en vrai tout se passe en douceur, le chat s’endort tranquille, on a fait ce qu’il faut, il est heureux de donner sa peau pour que Paris soit toujours Paris… Et elles marcheront, elles ont tellement envie… Toutes le copines ont de la fourrure de chat –on ne dira pas ça comme ça, les gars du marketing auront trouvé un mot chic, un mot mode- je ne vais pas être la seule à m’en passer ! J’aurais bonne mine tiens !
Ah, oui : les chiens. Pareil. En Chine, toujours. Cinq ou six gros lascars en train d’éclater les crânes sur des billots, sur le pavé, à tour de bras, cadences infernales, doivent pas être payés gras. Qu’ils crèvent !

Attendez-vous donc à voir rappliquer, je ne sais trop sous quelle forme, une marée d’accessoires vestimentaires à base de fourrure de chats et de chiens dans l’hiver qui vient. Savez-vous quoi ? Ils les font passer pour du synthétique i Ce qui tendrait à suggérer qu’en Chine la peau des chiens et des chats, malgré les manipulations, revient beaucoup moins cher que le Nylon ou les acryliques !

Jusqu’ici, les massacreurs de chats, chez nous, étaient des voyous ruraux qui fournissaient certaines officines fabriquant des sous-vêtements en peau de matou pour tenir au chaud les rhumatismes des vieux cons à rhumatismes. Activité d’ailleurs réprimée par la loi. Les Chinois, qui sont un grand peuple travailleur et industrieux, ont élevé la chose aux dimensions d’une entreprise nationale.
Je retire de tout ça l’impression débilitante que cet incessant combat contre la souffrance animale, que ces efforts sans cesse et sans cesse recommencés en faveur du respect de la vie, de toute vie, qui sont déjà si décevants quand on s’adresse à des peuples dits « évolués », se heurtent, hors de ce cercle restreint, à un formidable mur d’indifférence, pour ne pas dire de sadisme. L’Asie est terrifiante. Ne parlons pas de l’Afrique…

Oui, bon. Il y a du boulot. Les filles, à vos bouteilles d’encre ! Les gars, refusez votre coït à toute merdeuse portant fourrure !

François CAVANNA – Charlie Hebdo du mercredi 26 octobre 2005

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Qu'est-ce qu'un individu ?

 

« Aucun enfant nouveau-né de devra être reconnu humain avant d’avoir passé un certain nombre de tests portant sur sa dotation génétique… S’il ne réussit pas ces tests, il perd son droit à la vie. » Francis Crick, co-découvreur de la double hélice de l’ADN. 
Comment peut-on vouloir retirer le droit de vivre à un être humain ? Si les propos de Francis Crick nous indignent, peut-être est-ce en raison des questions qu’il soulève :

  1. Etre humain ne va pas de soi, il ne suffit pas de naître pour faire partie de l’espèce humaine
  2. Ne pas appartenir à l’espèce humaine nous hôte tout droit à la vie ; par conséquent, être humain nous confère un pouvoir absolu sur les autres espèces animales.

Mais alors, qu’est-ce qu’un être humain ? Les notions de personne et d’humanité sont-elles indissociables ? En d’autres termes, un sujet, un sujet de droit, est-il exclusivement un membre de l’espèce humaine ?

Je suis membre de l’ADMD (1), parce que je souhaite que l’euthanasie volontaire soit légalisée, de manière à ce que le « testament de vie » de chacun ait une valeur légale. Cela signifie que si je suis atteinte d’une maladie incurable et douloureuse, ma volonté d’abréger mes souffrances sera respectée. Si je suis capable de m’exprimer, ce sont mes paroles qui seront prises en compte et si je suis dans l’incapacité de faire connaître ma volonté, les dispositions que j’aurais prises dans mon testament de vie seront respectées (qu’elles aillent dans le sens d’un prolongement des soins ou de leur arrêt).
Il ne s’agit pas là de choisir entre la mort et la vie, mais entre deux manières de mourir, et j’insiste bien sur le fait qu’il s’agit de choisir pour soi, non pour les autres, comme c’est le cas aujourd’hui. L’euthanasie existe en effet de fait, sinon de droit, dans notre société, et ce sont rarement les premiers concernés qui décident, mais les familles et les médecins. Les débats auxquels j’assiste, les propos qui sont tenus sur l’euthanasie me font réaliser à quel point la vie humaine est sacralisée.
Je pensais naïvement qu’à partir du moment où une personne en phase terminale exprime (ou à exprimé avant d’en être incapable) sa volonté de ne pas vouloir prolonger sa vie de quelques semaines ou quelques mois, les médecins et son entourage sont obligés de prendre sa décision en compte. Mais non, c’est que voyez-vous la vie humaine est précieuse ! Mais à partir du moment où les précautions nécessaires sont prises pour éviter les dérives, qui est en droit de s’opposer à ma volonté ? Tout le monde apparemment, car ma vie ne m’appartient pas, ainsi le décrètent les prêtres et les médecins, nouveau clergé de nos temps dits modernes. En effet, en tant qu’être humain, je suis dépositaire d’une valeur sacrée, que la démocratie prétendument laïque a changé en « dignité ». La loi française tente même de définir cette dignité humaine et entend bien la défendre. Ainsi, des médecins ont été condamnés pour avoir fait des expériences sur une personne en état de mort cérébrale. En apprenant cela, je n’ai pas pu m’empêcher de me demander pour qui nous, êtres humains, nous nous prenons. Bien sûr ces expériences sont condamnables, mais plus par respect pour l’entourage pour qui cela est pénible d’imaginer ces expériences, que pour le défunt qui ne ressent plus rien. Mais les autres ? Toutes les souris, tous les singes, chiens et cochons sacrifiés au nom de la science ou de la gastronomie, sont-ils moins dignes qu’un être humain mort ? Même un cadavre d’humain est l’objet de plus grandes considérations.(2)

En effet, nous sommes protégés alors que nous sommes morts et même lorsque nous ne sommes pas nés. Il est ainsi interdit de faire des expériences sur des embryons humains, seule l’observation de son développement est autorisée. Pourtant, les tissus fœtaux sont utilisés pour élaborer des produits thérapeutiques, ainsi que pour effectuer des greffes. Ce qui est donc protégé, ce n’est pas tant l’embryon lui-même que l’intérêt de l’espèce humaine. En effet, notre vision simpliste des choses risquerait d’être bouleversée si, par exemple, des animaux non-humains portaient des embryons humains : ces « produits » seraient-ils humains, auraient-ils les mêmes droits qu’un humain issu d’un couple d’humains ? La question se pose dès aujourd’hui avec les xénogreffes : que penser d’un être humain qui vit grâce à un cœur de cochon ?
« La protection de l’intégrité de l’espèce humaine : une ambition essentielle de l’éthique biomédicale. »(3) Cette affirmation a au moins le mérité d’être claire : il faut protéger les barrières de notre espèce afin que notre éthique bancale n’apparaisse pas dans toute son absurdité. Les lois bioéthiques font des pirouettes ridicules pour éviter de se contredire ouvertement. Ainsi, il est affirmé que « cette vie, parce qu’elle est humaine, est éminemment respectable et doit être protégée, dès son commencement. » Alors comment justifier la pratique des IVG ? « Cette loi (celle de 1975) qui est fondamentalement une loi d’exception n’a pour but que de dépénaliser, et non autoriser l’interruption volontaire de grossesse dans des situations particulières de détresse. » On apprend donc par la même occasion que l’IVG n’a jamais été légalisé, mais uniquement dépénalisé. Bien sûr, aucun membre de l’espèce humaine n’est oublié. Au cas où quelqu’un rapprocherait les handicapés des animaux, l’ONU rappelle que « le handicapé a essentiellement droit au respect de sa dignité humaine. »
L’expression « dignité humaine », accommodée à toutes les sauces idéologiques, insiste implicitement sur la non dignité des autres espèces animales. D’autre part, si la dignité était inhérente à notre condition d’être humain et si elle était l’apanage de notre seule espèce, nous parlerions simplement de « dignité » et non de « dignité humaine ».

Ces simples mots nous montrent que la dignité d’un être est une construction purement subjective, vide de sens, et que nous voudrions bien que cette dignité reste le privilège des membres bienheureux de l’espèce humaine. Pourtant, si nous associons les mots « dignité » et « humaine », c’est qu’il est possible de parler de dignité non-humaine. Hélas ! j’ai peur qu’en disant qu’un animal non-humain est au moins aussi digne qu’un cadavre humain, on me rit au nez. « Quand même, comparer une bête à un être humain ! Ce n’est quand même pas la même chose ! » Oui, je suis une humaine et pas un félin, mais est-ce un argument suffisant ? Respectons-nous en autrui uniquement son humanité (4)? Certains pensent que les races existent et qu’appartenir à la « race noire » implique de ne pas appartenir à l’espèce humaine. Si nous apportions la preuve que les Noirs, les femmes ou les homosexuel/les ne sont pas des être humains à part entière, mais des sous-humains (c’est-à-dire autre chose que des mâles blancs hétérosexuelles en bonne santé), cela changerait-il votre comportement ? Cela vous donnerait-il des droits sur ces catégories ? Qui respectez-vous ? Auriez-vous participé au massacre des Juifs, sous prétexte que « après tout, ils ne sont pas vraiment comme nous » ?
Beaucoup de personnes pensent ainsi, parce que la notion d’être humain (5) fluctue étrangement selon les régions, les époques et les intérêts en jeux. Peut-être vos profs vous ont-ils rapporté les goûts très originaux de Néron en matière d’éclairage ? Ils clouaient de petites choses enduites de poix sur des croix et y mettaient le feu. Cela illuminait joliment les allées. Ah oui ! les « choses » en question étaient des prisonniers humains, le plus souvent des chrétiens. Les progrès de la médecine vous font-ils peur ? Comment allez-vous faire quand vous apprendrez qu’un hybride humain a vu le jour ? Si le public et la plupart des médecins sont inquiets face aux progrès de la génétique, c’est qu’elle risque de singulièrement brouiller notre vision simpliste, elle nous pose sérieusement le problème de notre nature. Nous comprenons qu’il est possible de franchir la barrière des espèces. Une fois le miroir franchi, comment ferons-nous ? Qui respecterons-nous ?

Les conférences de bioéthiques se multiplient mais ne sont toujours pas parvenue à définir la personne humaine (6). En effet, tant que nous resterons dans le flou, nous pouvons tout imaginer : nous ne sommes pas des animaux, nous sommes supérieurs à toutes les autres « créatures », être humain nous donne tous les droits car nous sommes doués de raison, etc. Dès lors qu’une définition précise de la notion de personne serait faite, elle risquerait de montrer trop clairement que la notion d’individu n’englobe pas uniquement les membres de l’espèce humaine. Ou alors elle simplifierait les choses en reconnaissant le statut de personne à tout ce qui est humain (embryon, organe, cadavre) pour s’économiser la réflexion sur ce qui fonde réellement la « dignité » d’un être.
La définition de l’être humain est donc encore imprécise et le peu qui est fait risque chaque jour d’être remis en question par les manipulations génétiques. Mais pour le moment nous nous contentons de ce que nous avons : hors de l’espèce humaine, point de salut !
Nous confondons les notions d’être humains et d’individu, ce qui amène le rejet dans des sous-groupes, à la limite de l’animalité, de catégories d’humains considérés comme inférieurs. Qu’est-ce qu’un individu si l’appartenance à l’espèce humaine n’est pas un critère pertinent ? Qu’est-ce qui permet de considérer que les intérêts de telle espèce sont plus valables que celle d’une autre ? La raison ? Mais quid des handicapés mentaux alors ? Et si nous prenions comme critère ces intérêts dont nous parlions ?
Qui a des intérêts alors, si ce ne sont tous les êtres capables de ressentir le plaisir et la souffrance, quelle que soit leur espèce ? Une personne serait alors tout être vivant et autonome capable de sensations. Ainsi, tout être humain, à partir de sa naissance et jusqu’à sa mort est un individu dont les intérêts (à ne pas souffrir, à avoir les moyens de vivre décemment) doivent être pris en compte. Mais un individu est aussi tout animal non humain doté d’un cerveau et d’un système nerveux. Il a les mêmes intérêts qu’un animal humain. Il a le droit de vivre et de ne pas être considéré comme un objet au service des humains.

 

 

Notes :

1- Association pour le droit de mourir dans la dignité, qui milite pour que les vivants puissent choisir leur mort. Ce n’est ni aux médecins, ni à la famille, de décider si nos soins doivent être arrêtés ou si nos souffrances doivent être abrégées ou non. Ce choix entre deux manières de mourir est le nôtre et il doit être respecté.

2- Code pénal art.225-17(des atteintes au respect dû aux morts) « Toute atteinte à l’intégrité du cadavre, par quelque moyen que ce soit, est punie d’une peine d’un an d’emprisonnement et de cent mille francs d’amendes » (des atteintes au respect dû aux morts)

3- La vie en question : pour une éthique biomédicale, rapport de J-F Mattéi, La Documentation française ; 1994

4- Il est révélateur que « humanité » soit synonyme de « nature humaine, genre humain » et de « bonté, bienveillance ». A contrario, « l’animalité » ou la « bestialité » ont une connotation négative (alors que l’être humain est un animal…).

5- Définitions (très abrégées) de la nature humaine :
Définition génétique : les gènes définissent pour partie la construction des individus. Ils sont à l’origine des groupes sanguins, mais aussi de l’interfécondité qui circonscrit l’espèce humaine comme entité différente des autres espèces.

6- Lois bioéthiques sur l’embryon de 1994 sous la direction de J-F Mattei : renoncement à définir ce qu’est la personne humaine

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Décroissance et végétarisme


par André Sulfide, dans Le Monde libertaire n° 1374 (4-10 nov. 2004)


La décroissance a décidément bonne presse dans les milieux libertaires. Le débat a noirci bien des pages de notre hebdomadaire, et récemment la salutaire brochure de notre compagnon Jean-Pierre Tertrais lui a donné un nouvel élan. De telles lectures, si elles sont stimulantes, n’abordent pas toujours la question essentielle des réponses et projets que peuvent proposer les anarchistes dans le cadre de la décroissance, en rupture avec le système capitaliste, sa logique de suproduction et son corollaire direct, la surconsommation.

Il est temps d’aborder la question de nos attitudes, de nos comportements au sein d’un système économique engagé tout entier dans une logique suicidaire de croissance, mais plus précisément dans nos actes les plus ordinaires, les plus quotidiens, qui pèsent d’un poids d’autant plus lourd dans la machinerie destructrice du capitalisme. À commencer par l’alimentation, part essentielle de la consommation mondiale, qui répond aux mêmes principes d’offres (largement industrialisées), de demandes (largement conditionnées) et reste soumise aux mêmes déséquilibres entre puissances nationales, que la majeure partie des marchandises s’échangeant de par le monde. Et, pour être tout à fait précis : la production et la consommation de viande, parties prenantes de la course libérale vers l’abîme.
Le propos n’est pas de stigmatiser gratuitement celles et ceux qui mangent de la viande, de brandir quelques principes moraux (dont certains peuvent être, certes, tout à fait valables) et d’asséner sur certaines têtes la seule idée que le végétarisme, voire le végétalisme, a valeur d’obligation morale. Le mouvement anarchiste conserve, sur cette question, les pénibles souvenirs d’une époque où quelques militants de la cause animale ont, non sans tapage, osé de douteux rapprochements entre consommation de viande et fascisme. Il n’en a pas fallu davantage pour que les adversaires nourrissent une méfiance durable (doux euphémisme), les uns vis-à-vis du végétarisme, les autres vis-à-vis des organisations libertaires.
Si les querelles sont loin désormais, hélas la question de l’abolition de la viande n’a guère progressé dans les milieux anarchistes. Voire. Comparativement à d’autres époques où le problème était passionnément abordé dans les colonnes de nos journaux et les pages de nos brochures, l’indigence de nos réflexions sur ce point est patente. Il n’est guère que les milieux anarchopunk et écologiste radical qui se soient emparés de la question et aient amené, par la force des débats et la conscience individuelle, une assez large frange de leurs activistes à devenir végétariens, voire végétaliens.(1)


Au-delà de toute considération morale, il est une question que doit se poser, honnêtement, tout individu sensibilisé aux ravages de cette société de surproduction et de surconsommation, et décidé à y mettre non pas seulement un frein, mais un terme : peut-on, au xxie siècle, continuer à consommer de la viande ?
Commençons par noter que, à l’heure industrielle, la production de viande constitue objectivement un gaspillage énergétique. Le théorème est simple : on cultive des céréales pour nourrir et engraisser le bétail. Pourquoi ne pas manger directement les céréales produites ?
Cela n’a l’air de rien, mais il faut imaginer à quel degré de paroxysme cette aberration énergétique peut être portée par l’appétit carnassier de millions, de milliards d’individus. L’entretien des animaux, indexé sur la demande du marché de la viande (en pleine croissance, notamment dans les pays du Nord), implique de trouver toujours plus de terres à couvrir de pâturages et de cultures. Tragique démonstration de cette fuite en avant, la couverture forestière tropicale et subtropicale s’est considérablement réduite depuis que les différentes officines mondiales d’aide au développement encouragent, et c’est peu dire, l’installation d’établissements d’élevage de plusieurs millions de têtes de bétail. Et la razzia continue quand, après avoir dévasté les forêts, ruiné les terres ainsi gagnées par une exploitation démesurément intensive — les exploitants restant soumis aux mêmes exigences de rendement qu’ailleurs —, il faut porter la tronçonneuse et le bulldozer plus loin encore, conquérir de nouvelles terres, poursuivre l’œuvre de mort.
Les animaux ne nécessitant pas une alimentation variée, quelques types de céréales, souvent même un seul, suffisent à leur croissance. En particulier le soja, dont la prodigieuse production est essentiellement destinée au bétail, entraînant un modèle de culture inédit pour les communautés paysannes traditionnellement attachées à une agriculture de subsistance, plus variée, qui aujourd’hui ne pèse pas lourd dans la balance économique réglée par les pays du Nord. Pour survivre, ces communautés n’ont guère d’autre choix que de se lancer dans la monoculture, s’enchaînant encore davantage aux fluctuations du marché, et participant sans en récolter de bénéfices à la destruction de leur environnement, qui est aussi le nôtre.
Ce sont eux qui sont les plus directement touchés par les déséquilibres engendrés : exodes massifs, disparition des repères sociaux et culturels, etc., mais aussi effets directs et indirects de la déforestation. On en parle peu, mais la destruction de la forêt équatoriale est également celle de l’habitat naturel d’une multitude d’animaux qui ainsi meurent ou ne trouvent plus leur place dans la complexe organisation de la chaîne alimentaire. On signale de nombreux cas d’animaux sauvages qui, affolés, affamés, attaquent l’homme, parfois le tuent. Car le détraquement généralisé des équilibres naturels affecte d’innombrables composantes des milieux végétal et animal, toutes solidaires les unes des autres, sonnant un glas qui se répercute par échos successifs.


L’homme qui souffre, l’homme qui meurt n’est pas l’entrepreneur qui par calcul décrète les mises à mort économiques et écologiques, ni le technocrate qui sans état d’âme administre la curée, pas davantage les politiques qui justifient le tout, voire le favorisent, non sans prélever au passage leurs petites commissions. Ceux qui souffrent et meurent, ce sont les pauvres, artisans inconscients de leur propre destruction. Ce sont par exemple ces éleveurs de volailles qui, dans certains pays d’Asie, vivent et travaillent au milieu de leurs animaux, dans des conditions d’hygiène épouvantables qui ne sont pas étrangères à l’apparition et à la propagation de virus toujours plus résistants. Les épidémies ainsi développées font d’autant plus de ravages que les populations touchées sont vulnérables et mal informées, les gouvernements paraissant davantage préoccupés des enjeux économiques que des retombées sanitaires. Nous pourrions également parler du smog dévastateur qui a couvert certaines régions de l’Indonésie à cause du feu utilisé pour le défrichage. Ou des effets des pesticides pulvérisés en surabondance dans certaines cultures, empoisonnant la terre mais aussi les travailleurs qui les manipulent. Ou encore des inondations tragiques qui sont la conséquence directe du déboisement et de la mauvaise perméabilité des sols cultivés, comme dans la région de Santa Fe, en Argentine, fin 2003.


Nous pourrions, à vrai dire, poursuivre longuement cette sinistre énumération. Arrêtons-la. En revanche, et pour en revenir à ce qui nous préoccupe, ne croyons pas que les effets pervers de la production de viande ne sont observables que dans les pays du Sud. Dans nos contrées dites « riches » et « développées », le tableau n’est guère plus brillant. Une vague de militants issue du milieu paysan, aujourd’hui suivie par nombre de citoyens, stigmatise la « malbouffe » incarnée par certaines chaînes de fast-food bien connues. Ces dernières ont, c’est vrai, une lourde part de responsabilité dans le saccage planétaire, notamment dans le processus de déforestation engagé pour produire la pâte à hamburgers. Mais ce ne sont pas les seules. La gastronomie des pays du Nord, France en tête, repose essentiellement sur la viande. Ce modèle d’alimentation, logé au plus profond des crânes et des estomacs, conduit les populations pauvres ou riches à acheter, quotidiennement ou presque, leur lot de chairs plus ou moins fraîches. Mais la précarisation, voire l’appauvrissement généralisé des consommateurs amène ces derniers à rogner sur leur budget de nourriture et à aller au moins cher. Cela fait la fortune d’autres chaînes de discount alimentaire qui proposent une viande rendue bon marché par le recours aux hormones de croissance, aux anabolisants divers, aux antibiotiques et, à l’occasion, aux farines animales. Mêmes effets sur la santé que chez les habitués des fast-food : obésité, problèmes dentaires, risques de maladies cardio-vasculaires ou de cancers, etc.
Il est certain qu’un végétarisme sinon généralisé, du moins massivement adopté, ne réglera pas seul le problème de la surexploitation des ressources naturelles et des conséquences désastreuses qui en découlent. Le scandale des OGM a montré à quel point les apprentis sorciers de l’industrie agroalimentaire étaient prêts à toutes les manipulations irréversibles pour accroître les rendements et les dividendes. Une agriculture pour l’homme et non pour l’élevage peut fort bien être à l’origine de nouveaux saccages si elle reste soumise à la logique destructrice du capitalisme. À ce titre, la production actuelle d’huile de palme ou encore de fruits exotiques comme la banane, par exemple, participent également à la déforestation, à la destruction des communautés autochtones, à la surexploitation et à l’empoisonnement des sols.
Mais le végétarisme est une première rupture concrète avec le système capitaliste. Le végétarien assume, dans son comportement alimentaire, son refus de cautionner l’aberration de l’industrie carnassière et d’en porter une part de responsabilité, même minime. Plus qu’un simple boycott, dans un monde où la viande domine la gastronomie des pays du Nord, le végétarisme est aussi une attitude de résistance, qui amène fréquemment à s’interroger sur l’alimentation, la composition des produits, leur origine, leur valeur nutritive, etc. Parce que nous mangeons tous les jours et parce que nous sommes quotidiennement confrontés au spectacle du cadavre dans l’assiette, le végétarisme questionne en permanence les comportements alimentaires et leurs conséquences, en une sorte de dialectique sans cesse renouvelée.
On me dira que le végétarisme est le choix des privilégiés qui dans l’abondance ont la possibilité de sélectionner leurs aliments. C’est vrai. On peut en dire autant de ceux qui ont les moyens intellectuels, sociaux, économiques de contrôler leur fécondité et de participer ainsi au processus de régulation des naissances. Les enjeux démographiques ont jadis passionné les anarchistes, lesquels n’ont jamais éprouvé de scrupules à militer pour le contrôle de la natalité. Les désastres de l’industrie agroalimentaire, à travers la production de viande notamment, doivent nous conduire à la même honnêteté intellectuelle et militante.
Terminons par cette double question : l’humanité compte aujourd’hui quelque 6 milliards d’individus. Dans une cinquantaine d’années, ce seront 8 à 10 milliards (selon les prévisions) qui peupleront la Terre. Une telle population pourra-t-elle survivre en continuant à consommer de la viande ? Et nous, « privilégiés » de l’Occident industrialisé, pouvons-nous laisser notre inconscience carnivore mettre en coupe réglée ce qu’il reste de ressources naturelles, animales, humaines ?

1. Je ne parle pas de certaines sectes qui « conseillent » fermement à leurs adeptes de suivre le régime végétarien. Ce qui relève du dogme n’attire pas, oserais-je dire, mon indulgence. Mais ceci est un autre problème.

 

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